Le processus d’identification est un mécanisme bien connu dans le milieu du cinéma et de la télévision, il est surtout utilisé par les scénaristes américains dans toutes leurs créations, films, téléfilms ou séries. Et il n’est pas exagéré de dire que c’est la clé absolue du succès d’une fiction. Si cette étape est ratée, l’histoire ne fonctionnera pas, même avec des millions de dollars d’effets spéciaux et des acteurs au meilleur de leur forme.
Quel est donc ce mécanisme si puissant ?
Tout le monde sait ce que signifie « s’identifier à quelqu’un », on se sent proche de cette personne, on la comprend, on ressent les mêmes choses qu’elle.
Par contre on connaît moins bien le processus qui provoque cette identification. La technique employée par les auteurs est pourtant très simple et peut se résumer de la façon suivante.
Pour qu’il y ait identification avec un personnage dans le cadre d’une oeuvre dramatique, on doit comprendre clairement dès son apparition dans l’histoire :
Dans le jargon scénaristique on dit du personnage qu’ « il vit du (!) conflit », expression assez rigolote mais tout à fait parlante.
Présenté de cette façon cela peut paraître presque trop simple, et pourtant ce schéma fonctionne parfaitement, et le plus souvent à notre insu.
Pour mieux comprendre, prenons un exemple de la vie courante.
Vous marchez tranquillement dans la rue. Sur le trottoir d’en face vous apercevez un homme qui avance sans se presser, une serviette à la main. Son pas est régulier, son visage ne trahit aucune émotion particulière, il ne se différencie pas des autres passants. Disons-le tout net, il ne vous intéresse pas et il est probable que votre regard se portera ailleurs.
Maintenant changeons quelques éléments de la scène. A présent cet homme avance d’un pas plus rapide, il fixe un point devant lui, regarde sa montre, son expression est anxieuse. Un peu intrigué(e) vous suivez son regard, à 50 mètres se trouve un arrêt de bus.
Soudain l’autocar arrive d’une rue transversale. Comme il y a peu de monde, il risque de repartir très vite. Vous regardez à nouveau notre homme, il se met à courir. Il y a des chances pour qu’intérieurement vous pensiez « Dépêche-toi ! ». Maintenant, votre regard va de l’homme à l’autocar, évaluant la distance qui lui reste à parcourir. Et quand cet autre passant le bouscule, lui faisant perdre de précieuses secondes, vous vous surprenez à étouffer une exclamation de colère !
C’est fait, vous venez d’être « victime » du processus d’identification. En un éclair vous avez pris le parti de cet homme qui veut attraper son bus, vous voulez qu’il y parvienne. Et si vous suivez cette scène de l’intérieur du bus, il est probable que vous vous lèverez pour crier au chauffeur « Attendez, il y a quelqu’un ! »
Que s’est-il passé ?
En regardant notre ami marcher sur le trottoir vous avez tout de suite intégré les différents paramètres de la situation. Son objectif d’abord, attraper le bus. Sa motivation ensuite, son anxiété montrait clairement qu’il était crucial pour lui de prendre ce bus-ci et pas le suivant, vous avez vite imaginé qu’il avait un rendez-vous important à honorer et qu’il ne pouvait pas être en retard. Les obstacles enfin étaient également parfaitement lisibles : la distance à parcourir, le peu de monde à l’arrêt, gage d’un départ rapide du bus, et ce passant qui le bouscule. L’homme « vivait » du conflit et sans rien vous demander il vous a embarqué(e) dans son histoire, alors qu’il était un parfait inconnu au départ.
Ce genre de mécanisme se répète sans arrêt dans la vie réelle. Et dans les fictions il est soigneusement mis en oeuvre par de nombreux auteurs dans le but de vous « scotcher ». Il suffit parfois de presque rien, d’une petite scène anodine, pour vous amener à vous identifier à l’un des personnages. Et quand c’est fait, vous avez envie de savoir ce qu’il va devenir, autrement dit vous allez regarder l’histoire jusqu’à la fin. Vérifiez-le la prochaine fois que vous regarderez une fiction, en faisant très attention à l’entrée en scène des protagonistes, et surtout du héros principal.
Sympathie et empathie
L’intensité de l’identification est variable. Cela peut se traduire par de la sympathie pour la personne : nous voulons l’aider, nous sommes heureux si elle réussit à atteindre son objectif et déçus si elle échoue. Mais cela peut aussi prendre la forme la plus élevée appelée empathie : nous sommes à la place de la personne, nous ressentons exactement ce qu’elle ressent.
Faisons une analogie avec un match de boxe. Dans un cas, la sympathie, nous sommes du même côté du ring que le boxeur, nous l’encourageons pendant le combat, nous le soignons et lui donnons à boire entre deux rounds.
Dans l’autre, l’empathie, nous sommes nous-même sur le ring (mentalement bien sûr), c’est nous qui prenons les coups !
Et c’est ce qui explique la variété des émotions que nous pouvons ressentir en sortant d’une salle de cinéma après avoir vu un bon film. Nous pouvons être contents, heureux, ou carrément sur un nuage, et à l’inverse, triste, déçus, ou complètement en état de choc pendant trois jours !
Cette intensité dépend des variations que l’on peut apporter aux différents paramètres.
Imaginons par exemple qu’à la place d’un homme d’âge mûr nous mettions dans notre histoire une vieille dame, ou une jeune femme portant un bébé. Notre perception de la situation en sera modifiée et notre identification deviendra encore plus profonde.
Changeons encore quelques éléments de la scène. Au lieu de se dérouler dans une ville paisible elle a lieu maintenant dans une zone dévastée par la guerre. L’objectif n’est plus d’attraper un bus mais de monter dans un camion déjà bondé s’apprêtant à rejoindre un lieu plus sûr, l’obstacle n’est plus le passant en travers du chemin mais une cohue de réfugiés chargés de bagages et courant dans tous les sens. Par-dessus le marché rajoutons une bande d’hommes armés à la mine féroce qui arrivent au loin et cherchent à l’évidence à rattraper les fugitifs. Dans ce cas extrême nous allons probablement ressentir une terrible angoisse et trembler de tous nos membres en regardant cette pauvre vieille dame (ou la jeune femme et son bébé) tenter de se mettre à l’abri.
Plus fort est le conflit, plus forte sera notre identification.
Au service du projet ?
Nous avons maintenant bien intégré le processus de l’identification, mais en quoi peut-il être mis au service d’un projet ?
Notons d’abord que chaque porteur de projet (homme ou femme) réunit les paramètres qui favorisent justement cette fameuse identification.
Il a un objectif évident : faire aboutir son projet. Cela peut être, par exemple : créer une entreprise, monter une expédition, développer un programme d’aide humanitaire, faire une reconversion professionnelle, retrouver un emploi...
Il est en principe très fortement motivé pour atteindre cet objectif.
Et il rencontre le plus souvent des obstacles très sérieux : manque de financement, local introuvable ou trop cher, lourdes démarches administratives, difficulté à trouver des partenaires, à se faire connaître, concurrence féroce et pas toujours fair-play, marché de l’emploi saturé…
Oui, mais à quoi peut lui servir le processus d’identification ?
Se battre pour un projet est très souvent difficile, long et d’issue incertaine. Beaucoup se découragent et finissent par abandonner.
Pour espérer réussir, le porteur de projet (homme ou femme) doit remplir un certain nombre de conditions en terme notamment de compétences, de qualités, de ressources disponibles, de connaissance de l’environnement cible etc… Il doit avoir en plus un mental solide pour surmonter toutes les épreuves.
Dans cette dynamique il doit également pouvoir compter sur le soutien actif de ses proches et de son réseau au sens large du terme. C’est à ce niveau qu’intervient le processus d’identification.
Son combat pour son projet est en quelque sorte un film dont il est l’acteur principal, à la différence qu’il se déroule dans la vraie vie. Et donc s’il veut provoquer l’identification des autres à son aventure personnelle, il peut et doit utiliser la même méthode que les scénaristes en mettant en scène les trois paramètres dont nous avons parlé : objectif, motivation, obstacles.
Objectif clair
Il est parfois difficile de parler de son projet sans utiliser des termes vagues ou trop techniques. Il est pourtant crucial d’en donner une définition simple et percutante. En effet, l’interlocuteur pourra plus facilement relayer une information claire vers d’autres personnes et donc la populariser. On peut faire l’analogie avec le football ou le rugby, si un joueur donne un bon ballon à son coéquipier celui-ci pourra d’autant mieux le faire « vivre » en direction des buts adverses.
En fait, il faut absolument éviter que l’on parle de votre projet de la façon suivante : « Il (ou elle) m’a parlé de son truc, j’ai pas tout compris, c’est un peu compliqué, je ne suis pas sûr mais je crois que…etc ». Si le premier interlocuteur veut bien se donner la peine de se lancer dans ces explications fumeuses, il est probable que le suivant n’en fera rien.
Objectif légitime
Le projet étant défini de façon précise, il faut également que l’on soit crédible pour le mener à bien. Mettez en avant vos compétences, vos diplômes ou l’expérience acquise, tout ce qui peut favoriser le succès de l’entreprise. Bref, présentez concrètement vos atouts.
Dans le cas contraire, vous risquez de passer pour un doux rêveur ou un inconscient.
« Il veut créer une boîte de décoration d’intérieur sans formation ni diplôme ! Il n’y connaît absolument rien et en plus, tu as déjà vu comment c’est chez lui ? »
Objectif original
Tout le monde aime la nouveauté. Si vous tenez absolument à ouvrir une pizzeria ou un magasin de mode il vaut mieux parler de la touche originale qui différenciera votre projet de ce qui existe déjà un peu partout.
Il faut se méfier également des objectifs « tendance » du genre : « Je veux faire de l’humanitaire » ou « je veux monter une affaire dans le développement durable ».
Si c’est le cas, il vaut mieux insister lourdement sur vos atouts et sur votre approche originale du sujet.
Motivation
Dire « je veux absolument le faire » c’est très bien, le prouver c’est mieux. Le travail que vous avez déjà accompli sera le meilleur gage de votre motivation. Parlez des recherches, lectures et démarches effectuées, montrez que votre dossier est consistant, bref que votre projet n’en est plus au stade d’une douce rêverie mais qu’il est en ordre de marche.
On dira de vous « Il (ou elle) a déjà bien avancé, il a fait plein de démarches, c’est du solide, il veut vraiment y arriver ! »
Obstacles
Dans un film, les obstacles insurmontables découragent vite le spectateur. Dans la vraie vie c’est la même chose. Si vous affirmez que, sans moyen et armé de votre seule bonne volonté, vous allez concurrencer une multinationale forte de 100 000 employés, on vous écoutera poliment en pensant avec tristesse « Mon pauvre ami ! Tu n’es pas au bout de tes peines ! ». Sachez que personne ne vous suivra sérieusement dans une entreprise suicidaire. Les obstacles doivent donc être à votre portée.
Après avoir défini votre projet, montré votre motivation, vous allez énoncer les tâches qu’il vous reste à accomplir et tout naturellement apparaîtront les obstacles qui se dressent encore sur votre chemin.
Il ne s’agit pas de chercher à apitoyer votre auditoire mais de montrer que vous êtes debout, conscient des difficultés et prêt à aller de l’avant.
Le réseau en marche
Si vous respectez ces différentes étapes, vous verrez s’accomplir le fameux processus d’identification. Vos proches adhéreront à votre démarche. Cela ne se traduira pas forcément par une aide matérielle ou financière mais au moins par un soutien moral qui vous permettra d’affronter vos propres périodes de doute. Il est vital d’avoir autour de soit des gens qui « y croient ».
De plus vos interlocuteurs vont devenir autant de « têtes chercheuses » lâchées dans la nature, à l’affût de la moindre information utile qu’ils vous répercuteront dans la foulée. Ils seront toujours prêts à parler de vous, à faire tout ce qu’ils peuvent pour vous aider. Bref ils voudront vous voir aboutir.
En un mot, ils souhaiteront ardemment que le film de votre histoire se termine bien !
L’accompagnement au projet
Je considère pour ma part que l’adhésion de l’entourage et la mobilisation du réseau sont des leviers essentiels à la réussite d’un projet. Le processus d’identification permet d’atteindre ce résultat. C’est donc pour cette raison que je propose aux porteurs de projet de définir avec eux dans le cadre de mon accompagnement un argumentaire précis et efficace permettant de présenter leur objectif, leur motivation ainsi que les obstacles qu’ils rencontrent.
Silvain Rossini
Bilan et projet de vie